À l'aube d'un destin funeste pour la France, j'avais ma mère au téléphone qui me demandait comment les choses s'étaient passées pour l'Italie depuis octobre 2022. Pour lui donner plus d'informations structurées, j'ai voulu faire des recherches, alors, maman accroche-toi.

1 - Des mesures et un discours qui s'implantent dans la société

Sans surprise, on a pu commencer par constater des mesures d'abord relevant du conservatisme propre à la droite et qui véhicule des idées de méritocratie, de sécurité, et de tradition familiale.

1.1 - Des lois conservatrices

Le revenu de citoyenneté

Dès son arrivée au pouvoir, Meloni a supprimé le revenu de citoyenneté. Entre 2019 et 2023 ce revenu, équivalent au RSA en France, a permis de sortir 1 à 2 millions de personnes de la précarité. En 2023, 40 % des bénéficiaires étaient en signature d'un « pacte pour l'emploi » et la moitié d'entre eux avaient retrouvé un emploi au moment où Meloni a supprimé le dispositif.

Son remplaçant, le « chèque d'inclusion », est tristement ironiquement moins inclusif et plafonné. Moins de retour à l'emploi, moins de personnes sorties de la précarité.

source : L’Italie renonce à son « revenu de citoyenneté »

source : en Italie, la fin du revenu de citoyenneté actée par l'extrême droite fait craindre une montée de la pauvreté

Mais « il ne se passera rien si le RN est au pouvoir », hein ?

La sécurité (ou la privation de liberté sous couvert de sécurité)

Un décret-loi a été imposé et a suscité des réactions assez vives : la loi d'urgence contre les rave-parties. Ce décret-loi est une illustration des politiques d'extrême droite qui privilégient la sécurité à la liberté.

  1. Utiliser un événement qui pose problème dans l'opinion publique, pour justifier une loi qui va bien au-delà de la problématique initiale.
  2. Mettre une peine forte pour dissuader, dans notre cas, 6 ans d'emprisonnement pour les organisateur·ices.
  3. Rester flou sur les définitions dans le décret final, pour pouvoir l'appliquer au-delà du sujet initial. Très pratique pour réprimer des mouvements sociaux, des grèves, des marches, etc.
  4. Se servir de l'urgence de la situation pour passer en force, sans débat parlementaire.
  5. Félicitations, vous avez une loi liberticide, assez imprécise pour être utilisée contre n'importe qui selon le bon vouloir de vos autorités.

source : En Italie, le gouvernement Meloni cible les rave parties, l’opposition craint une attaque plus large

Mais « il ne se passera rien si le RN est au pouvoir », hein ?

1.2 - Des remises en cause qui dépassent le conservatisme et infusent des pensées oppressives

Le gouvernement Meloni n'est pas un simple gouvernement conservateur, les lois ou les prises de position du gouvernement apportent clairement une note de division et de discrimination, une véritable propagande de l'oppression.

La remise en cause de lois garantissant la protection des citoyen·nes face aux forces de l'ordre

Le gouvernement Meloni a remis en cause la loi de 2017 qui définissait l'usage de la torture comme un crime. Dans un contexte où le Conseil de l'Europe a dénoncé des abus sur ce sujet, commis dans les prisons italiennes, en mars 2023.

source : Italie 2023 -- Torture et autres mauvais traitements

source : Le Comité anti-torture du Conseil de l'Europe (CPT) publie le rapport relatif à sa visite périodique effectuée en Italie en 2022

Mais « il ne se passera rien si le RN est au pouvoir », hein ?

Des lois et des opinions qui discriminent les couples homosexuels en se voulant protectrices d'une « famille traditionnelle »

Récemment, des familles homoparentales se sont vues retirer la filiation de l'enfant pour un des deux parents. Les nouvelles familles de parents de même genre ne peuvent également plus faire reconnaître les parents non-biologiques sur les actes de naissances. Ce qui limite des libertés fondamentales et pénalisent surtout les enfants. Par exemple, le parent non-biologique ne peut plus être garant de l'accès aux soins et à la scolarisation et il ne peut plus voyager seul avec l'enfant. La garde en cas de maladie grave ou de décès du parent biologique est refusée, ce qui risque d'aggraver des situations familiales déjà dramatiques.

source : En Italie, les parents homosexuels perdent leurs droits

Mais « il ne se passera rien si le RN est au pouvoir », hein ?

Et message à celles et ceux qui défendent le RN en argumentant que c'est pour protéger les femmes et les personnes LBGT des violences des « étrangers », ne vous servez pas de nous pour justifier vos idées racistes, on ne vous a rien demandé, et on sait que nous sommes les prochaines cibles de vos politiques oppressives. Et pour les personnes ayant permis au RN de monter dans l'opinion publique, nous aussi nous ferons une politique de Ni-Ni, ni oubli, ni pardon.

Les contraintes, entraves et abus sur les personnes réfugiées ou migrantes

Ne pouvant pas appliquer son programme à la base drastique concernant les migrations, Meloni n'a cependant pas reculé à appliquer toutes sortes d'entraves et atteintes aux droits humains des personnes réfugiées ou migrantes. Elle multiplie les accords pour aider les pays d'origine à retenir leurs ressortissant·es, notamment en Albanie et en Libye. Le parlement italien a également supprimé le permis de protection spéciale pour les personnes qui seraient en danger en cas de rapatriement. Sur les opérations de secours, l'Italie a mis de nouvelles contraintes, jugées inutiles par les ONG, et qui les empêchent de sauver des vies en mer.

source : Italie 2023 -- Droits des personnes réfugiées ou migrantes

Mais « il ne se passera rien si le RN est au pouvoir », hein ?

Des opinions qui s'étendent à l'international

Lors du sommet du G7 en juin 2024, Meloni est revenue sur les engagements européens concernant l'IVG, et elle a pu obtenir la suppression de toute mention de l'identité de genre dans le texte final. C'est un recul des droits des femmes et des personnes transgenres, qui risque de se répercuter dans les pays membres de l'Union européenne.

source : Au sommet du G7, l’avortement absent des engagements, sur fond de tensions entre Macron et Meloni

Mais « il ne se passera rien si le RN est au pouvoir », hein ?

1.3 - Un discours qui s'implante dans la société

S'il y a bien une chose importante à rappeler, c'est qu'un pouvoir politique ne se manifeste pas que dans la gestion économique, diplomatique et législatrice d'un pays, c'est aussi un discours qui envoie des messages entendus par les citoyen·nes, les forces de l'ordre, les administrations, les groupes radicalisés.

Qui plus est, avec le contrôle des media italiens, le champ est libre pour le gouvernement Meloni de remplir les esprits et s'il ne décide pas de ce que les gens pensent, il décide de ce sur quoi ils pensent.

Les témoignages des personnes concernées soulignent un changement de l'ambiance quotidienne dans le pays, la parole raciste, déjà présente avant l'arrivée de Meloni, s'est désormais décomplexée. En outre, on constate une recrudescence des propos et actes antisémites et des aggressions envers les femmes et les personnes LGBTQIA+.

Une spécificité de l'Italie toutefois, à la différence d'une France centralisée, les régions ont une marge de manœuvre, ce qui fait que les ressentis ne sont pas égaux partout, ce qui ne rend pas la situation plus rassurante pour autant.

Mais « il ne se passera rien si le RN est au pouvoir », hein ?

2 - L'Italie et la France, des situations comparables ?

2.1 - Des situations politiques intérieures différentes

Il est important de rappeler que l'Italie et la France ne sont pas des pays identiques, l'Italie est sous régime parlementaire, l'exécutif est donc plus contraint par le législatif que dans un régime présidentiel comme en France. D'autant plus qu'en France, l'exécutif a des pouvoirs particulièrement forts, ce dont ne dispose pas l'Italie. Une autre différence notable est que l'Italie est un système de régions autonomes, elles peuvent s'adapter différemment aux lois et même contrevenir à certaines lois nationales (ce qui explique les différences de ressentis selon les régions).

Nous ne l'avons pas en France. Nous avons un pouvoir central et un exécutif fort, qui, nous le savons bien depuis 2017, peut passer en force et sans débat parlementaire.

Vous pensez encore qu'« il ne se passera rien si le RN est au pouvoir » ?

2.2 - Des situations politiques internationales différentes

Premièrement, la dette publique de l'Italie est bien plus élevée que celle de la France ou de l'Espagne. Ce qui a des conséquences sur la politique économique du pays, et donc sur les mesures prises par le gouvernement Meloni.

Année Italie (% du PIB) France (% du PIB) Espagne (% du PIB)
2019 134 % 98 % 98 %
2022 140 % 111 % 111 %
2023 137 %1 110 % 107 %

Ensuite, l'Italie a une population non seulement vieillissante, mais également en dépeuplement. Ce qui a des impacts sur l'embauche, la consommation, la croissance, etc.

Ces facteurs économiques et démographiques ont des conséquences sur la dépendance de l'Italie envers Bruxelles. En effet, l'Italie est le principal bénéficiaire du plan de relance européen, elle a donc un intérêt à la prudence, et à ne pas trop déplaire à l'Union européenne par des mesures trop radicales.

La position de la France est différente, elle est beaucoup moins dépendante de l'Union européenne, et elle a une population plus diversifiée (tiens donc, merci l'immigration), en outre :

  • La France a une dette publique moins élevée que l'Italie (et un PIB plus important).
  • La France est la seule puissance de l'Union européenne disposant l'arme nucléaire.
  • La France possède un siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU.

Ces éléments font que la France a une marge de manœuvre plus importante que l'Italie, que ce soit en politique extérieure ou intérieure. Elle est même plus puissante aujourd'hui en Europe, que la République de Weimar de 1933. Et on s'étonne que les journaux étrangers s'inquiètent de la montée du RN ?

Vous pensez encore qu'« il ne se passera rien si le RN est au pouvoir » ? Que nous sommes plus matures, plus sécurisés ? C'est ce qu'ils pensaient en 1933.


Aujourd'hui en France, on commence à entendre sur les réseaux et dans les bouches des gens une musique bien sombre et bien funeste.

Une musique qui fait du révisionnisme historique, arguant que le NSDAP était de gauche, ce qui est faux.

Une musique qui sous-entend que la France de Vichy se serait construite par les votes de gauche, ce qui est faux, surtout quand on sait que la majorité de cette gauche n'existait déjà plus en 1938.

Une musique qui cible un ennemi, responsable de nos problèmes, un prélude qui a déjà été chanté.

Une musique qui déshumanise, nous l'avons déjà entendue.

Et la déshumanisation a déjà commencé, souvenez-vous, au moins, que c'était une étape de la propagande nazie.

Il est encore temps de cesser cette musique, nous en connaissons le refrain, et il ne fait pas danser.


Je terminerai en parlant aussi d'« Histoire d'un Allemand. Souvenirs (1914 – 1933) » de Sebastian Haffner, un livre qui parle d'un allemand qui avait la trentaine en 1933, et qui a vu son pays sombrer dans l'horreur. Tout comme nous aujourd'hui, il a cru qu'« il ne se passerait rien si le NSDAP était au pouvoir »...

Quelques extraits :

Histoire d'un Allemand, couverture

Les nazis étaient des ennemis, des ennemis pour moi-même et pour tout ce qui m'était cher : là-dessus,
je ne m'abusai pas un instant. Mais je ne savais pas qu'ils seraient des ennemis aussi redoutables. Sur ce point,
je m'abusais entièrement. À l'époque, j'inclinais encore à ne pas les prendre tout å fait au sérieux
-- tendance répandue chez leurs adversaires inexpérimentés, qui les a beaucoup servis et les sert aujourd'hui encore.

Je ne sais pas exactement quelle fut la premiere réaction générale. La mienne fut la bonne pendant une minute environ :
je fus glacé de terreur. Certes, c'était "dans l'air" depuis longtemps. II fallait s'y attendre.
Et pourtant, c'était tellement irréel. Tellement incroyable, maintenant qu'on le voyait noir sur blanc. "Hitler-chancelier..."
L'espace d'un instant, je sentis presque physiquement l'odeur de sang et de boue qui flottait autour de cet homme.

Puis je me secouai, fis une tentative pour sourire et réfléchir, et trouvai en effet toutes les raisons de me rassurer.
Le soir, je discutai avec mon père des perspectives du nouveau gouvernement ; nous étions d'accord pour estimer qu'il
aurait certainement l'occasion de faire pas mal de dégâts, mais guère de chances de se maintenir longtemps au pouvoir.

II est vrai qu'à ses débuts cette révolution eut les allures d'un de ces "événements historiques" que nous ne connaissions que trop bien :
c'était l'affaire des journaux et, tout au plus, une question d'atmosphère.
Selon l'opinion générale, les vainqueurs du jour n'étaient en aucune façon les nazis, mais les gens de la droite bourgeoise,
qui avaient réussi à "mettre les nazis dans leur poche" et occupaient tous les postes clefs du gouvernement.

Et en plus, qui étaient ces gens qui s'étaient mis brusquement à voter nazi depuis trois ans ?
Pour la plupart des indécis, des victimes de la propagande, une masse fluctuante. Dès les premieres déceptions, ils se disperseraient.
Non, tout compte fait, ce gouvernement n'était pas un motif d'inquiétude.
On pouvait juste se demander ce qui viendrait après lui, et peut-être craindre qu'il n'aille jusqu'å la guerre civile.

Le lendemain, il s'avéra que ce pronostic était aussi celui de la presse intelligente.
II est curieux que la lecture en paraisse convaincante encore aujourd'hui, alors qu'on sait ce qui s'est passé.
Comment les choses ont-elles pu prendre un cours aussi différent ?
Peut-être justement parce que tout le monde était convaincu que c'était impossible,
que nous nous y sommes aveuglément fiés, et que nous n'avons rien envisagé pour, le cas échéant, empêcher que cela fut possible ?

 Quoi qu'il en fût, je me cramponnais encore à cette vie normale à l'écart de la politique.
II n'existait pas de position à partir de laquelle j'eusse pu combattre les nazis.
Au moins ne voulais-je pas me laisser déranger par eux.
II y avait même peut-être une certaine provocation à choisir ce moment pour me rendre à un grand bal masqué,
bien que je n'eusse pas précisément l'humeur carnavalesque. Mais on allait bien voir si les nazis pouvaient troubler le carnaval !

Nous ne sommes pas prêt·es à ce qui nous attend.

Macron qui croit se mettre le RN dans la poche, c'est ce que pensait la droite bourgeoise allemande en 1933.

Nous ne sommes pas prêt·es à ce qui nous attend.

Nous croyons que ça ne durera pas, que ça ne peut pas arriver, que l'Europe nous protège.

Nous ne sommes pas prêt·es à ce qui nous attend.


  1. Cette baisse de 3 % est aussi due à l'inflation, donc pas une réelle baisse de la dette.