Introduction

L'année dernière, en 2022, j'écrivais ceci :

J'aime bien Twitter, enfin, surtout depuis que je suis la communauté dev 😁. Là bas, il y a des personnes qui sont une source d'inspiration qui me donne l'envie et le courage d'écrire une connerie de temps en temps. Donc merci à elleux 🙏

Ce qui est assez ironique quand on sait qu'un an plus tard, aujourd'hui, j'ai quitté ce site dû aux décisions catastrophiques de son nouvel acquéreur, qui promeut un harcèlement des personnes LGBT+, ainsi qu'une certaine impunité à l'intolérance. Mais ce n'est pas le sujet, j'en parlerais probablement ailleurs.


Donc il y a quelques temps, à une époque où mon genre social perçu était bien différent, je tombais sur les tweets d'Alonah, Fred et Fugu, trois personnes adorables et aux arguments pertinents, et ces tweets m'avaient inspiré une série d'articles sur le thème de l'hygiène intellectuelle dans la tech.

Certes, comme tout être humain, c'est d'abord et toujours un moteur évidemment émotionnel qui me pousse1, et j'ai décidé, de continuer cette série aujourd'hui avec à la fois un regard neuf, mais toujours en essayant de comprendre « Comment » en analysant les engrenages et les systèmes, dans le but de pouvoir faire preuve d'hygiène dans notre domaine technique, jonché de conventions sociales et structurelles parfois aidantes, parfois blocantes.

Cette revisite de mon ex-premier épisode de cette série reprend le même sujet, la différence entre l'Émulation et la Compétition.

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Et pour que tu comprennes mon mood, j'attaque avec une citation d'Albert Jacquard que j'aime bien à ce sujet :

La compétition, c'est « je ». Je cours contre vous, vous courez plus vite que moi. Cela me désole. Comme je veux arriver premier, j'en prends tous les moyens, y compris la tricherie. C'est cela, la compétition. C'est vou­loir l'emporter sur l'autre, ce que fait presque sans y penser la société d'aujourd'hui.

L'émulation, c'est je cours avec vous, vous arrivez plus vite que moi et loin d'en être désolé, j'en suis tout heureux car vous avez des leçons à me donner sur ma façon de courir. L'émulation, c'est être content d'être dépassé par l'autre dans l'espoir qu'il vous ouvre des possibilités nouvelles. C'est l'exact opposé de la compétition.

Tout le reste découle de cette dis­tinction. Ce que je cherche, ce n'est pas d'être meilleur que l'autre, ce qui n'a aucun intérêt, mais d'être meilleur que moi-même, ce qui est merveilleux

Tu peux retrouver un article qui en parle plus en détail ici.

Refuser la compétition

J'aurais aimé savoir, en 2015 quand j'ai commencé, qu'on a tout à fait le droit d'ignorer la compétition. D'ailleurs, elle mérite même d'être ignorée.

Et comme le dit la citation plus tôt, cette compétition est bien présente dans notre société aujourd'hui. Elle l'est tellement qu'elle apparaît comme une évidence (la loi du plus fort tmtc), elle est même parfois légitimée.

Point d'attention important, on ne parle pas de la compétition sportive, qui a justement plus trait à l'émulation.

Faire les choses correctement ne requiert pas d'être parfait•e

Donc je vais d'abord te parler du thread d'@AlonahAmelie.

Dans le thread d'Amelie il y a des super conseils, et ce que j'ai apprécié en particulier, c'est la notion de projet bien réalisé qu'elle détaille juste au-dessus ⬆️.

Je ne sais pas toi, mais quand je lis ou j'entends des termes style « bonnes pratiques » et compagnie, d'habitude ça me fait toujours un peu ticker. J'attends toujours le moment où on y met un jugement de valeur, de compétences en code/algo etc.2

Pas là.

Là elle parle de nommer les commits, de documenter, de gérer ses branches, de ReadMe, de nommage explicite... de choses qui en somme, relèvent de l'invitation à l'entraide, on respecte son environnement et les personnes qui vont intervenir (y-compris soi-même).

Cela n'implique pas de jugement de valeur, ni de concurrence, et pourtant, c'est tellement, tellement agréable (et même productif à balle sur le long terme).

C'est ce que j'appelle avoir de l'hygiène.

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Même si j'enfonce probablement des portes ouvertes, je pense que de temps en temps, se rappeler que le plus important ce n'est pas tant le code (ou « l'excellence élitiste ») c'est la terre dans laquelle on le plante. Tu peux avoir trouvé le meilleur algorithme du monde pour ton problème p (et vraiment bravo à toi aussi hein 🙌), si tu le plantes dans du goudron, il ne poussera pas, alors qu'une petite graine dans de la belle terre, avec de l'entretien et de la patience, peut donner un bel arbre 💪.

Ce terreau fertile, c'est l'hygiène.

Et puis, avant d'être de beaux chênes, ça ne fait pas de mal de se rappeler qu'on a toustes été des glands.

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La culpabilisation décomplexée

Et c'est justement quand j'arrivais à cette réflexion (sur l'environnement hein, pas sur les glands) que je suis tombée sur le tweet de @FuguLaDev 🚀

Fugu nous offre son retour d'expérience sur un entretien un peu ... brut (et merci ce n'est pas toujours simple de faire des retours d'xp). Je passe le fait que le premier contact fut de balancer le test technique direct (sérieux si un jour on me fait ça, je demande qu'on m'offre un verre avant non mai oh 😡 #balanceTonTestTechnique), non le plus symptomatique de ce qui m'hérisse le poil c'est l'annonce OKLM de la mise en "concurrence" des développeur•euses pour "stimuler" l'équipe.

Alors écoute moi bien Loulou. Le développement, c'est pas un Battle Royale, 3 tu mets pas tes collègues dans un île et iels ne vont pas s'entre-tuer, et à la fin, il n'y aura pas un•e seul•e survivant•e qui gagne le jeu. Non.

Nous. Ne. Sommes. Pas. En. Compétition.

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Entre les phrases en mode passif/agressif, les comparaisons, la concurrence, on va juste ruiner la cohésion d'équipe et créer des combats d'égo, résultat, exacerbation du syndrome de l'imposteur, culpabilisation sans raison, ça donne envie.

Les concours de taille de code

Parce que ça finit par donner ce genre de tweets à la fin 😓

Heureusement qu'il y a des personnes qui partagent des moments durs, des moments d'incertitudes ou de faiblesses. Oui, il faut du courage pour les partager, mais cela en vaut la peine, pour soi mais aussi pour celleux qui savent les écouter.

Cela. En. Vaut. La. Peine.

Donc merci à celleux qui s'indignent de voir l'exacerbation d'une société qui pense que le plus important c'est de comparer sa taille de zgeg, merci d'élever les choses comme @fredchristian__ pour ce tweet :

🙏 🙌

Donc je propose un truc, peut-être un peu osé... Et si on arrêtait les concours ? On s'en tape tellement de savoir que t'as la plus grosse, ça ne nous aidera pas à livrer un produit bien conçu donc t'es sympa, mais si tu veux des concours stupides, vas jouer à colin-maillard sur le bord de l'autoroute.

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Se sortir d'une machine infernale

On se met en confiance

Alors oui, il y a quand même du travail, mais ce qui est bien, c'est que c'est mieux à plusieurs et en équipe. C'est toute la différence avec la concurrence acharnée, là t'es pas seul•e à vivre ça et l'objectif est à la fois commun, faire avancer tout le monde, et personnel, se dépasser soi-même, grâce aux autres et pas contre les autres.

Et penser que c'est plus sain, plus respectueux, et que cela permet une bien plus belle émulsion n'est pas une faiblesse.

Sur soi, le travail qu'on peut faire, c'est justement en faire moins, en faire "less" (moins).

"Less ego on me, less blaming the others". (Moins d'égo sur moi, moins de rejet sur les autres).

Et ça ne vient pas de moi, je ne sors pas ça parce que ça me plaît, c'est ce qui est appelé egoless (moins d'égo) et blameless (moins de blâme)...

La remise en question n'est pas une faiblesse.

Je les vois comme deux facettes d'une même pièce, l'un nourrissant l'autre et vice-versa.

On cultive son indugence de soi : Egoless

L'egoless est tourné vers soi, c'est la capacité à séparer son travail de sa personne.

Cela ne dis pas d'être en totale positive attitude juste d'être d'une part plus indulgent•e envers soi-même, mais aussi de reconnaître quand son travail n'a pas été idéal, reconnaître les informations d'échec tout en s'extrayant de l'équation. Nous ne sommes pas notre travail, nous ne sommes pas nos erreurs, mais des erreurs, on en fait4.

"Ok, ce que j'ai fait à un instant t n'est pas extraordinaire, bah c'est une simple information, doublée d'une occasion d'apprendre, mais j'ai déjà fait des choses super pour en arriver là."

"Ok, j’ai été en galère sur telle technologie, mais c'était plutôt intéressant non ?"

"Ok, cette notion je ne l'avais pas, et alors ? maintenant oui."

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On réfléchit en équipe : Blameless

Le blameless est tourné vers les autres, on évite de les blâmer et d'entretenir une culpabilisation et un syndrôme de l'imposteur. C'est également pour soi aussi parce que je remarque que souvent, le réflexe de blâmer n'apporte aucun plaisir à personne, c'est frustrant pour tout le monde. Parce qu'on ne blâme que lorsqu'on se sent en insécurité, quand on se sent confiant•e, stable, en sûreté, on apporte son aide, au lieu de blâmer.

Pourquoi ? Parce qu'on est déjà indulgent•e envers soi-même, on sait que cela peut nous arriver, et que c'est totalement ok.

Si on passait moins de temps à se plaindre les un•es des autres, on avancerait mieux.

On fait les deux ensemble

L'egoless aide à atteindre le blameless : "Si je ne me sens pas attaqué•e dans mon égo, je n'ai aucune raison de blâmer qui que ce soit", "Si je me sens en confiance, cela me permet d'améliorer mon travail parce que c'est ça en moins que j'ai à penser."

Le blameless pour moi va aussi aider à faire preuve d'egoless, "je ne suis pas blâmé•e, donc je me sens plus confiant•e, donc je peux plus facilement prendre du recul, mon travail n'est pas ma personne."

Alors c'est un avis de profane, je ne suis pas psychologue, en plus je donne des exemples un peu en mode psycho de comptoir, mais c'est ce que j'ai constaté en observant les comportements, les miens y-compris.

Et disclaimer

Je ne suis pas une blanche cavalière, je ne suis pas une donneuse de leçons, ce serait blâmer, or je constate, parce que j'ai aussi mon lot d'erreurs.

J'ai aussi eu mes comportements compétitifs, j'ai cru dur comme fer à des choses que je sais idiotes aujourd'hui grâce à l'observation concrète.

Non, la fin ne justifie pas les moyens (un jour je parlerais de Kant).

Non, ce qui ne te tue pas ne te rends pas plus fort•e.

Non, Bilbon Saquet, je n'essaie pas de vous voler, j'essaie de vous aider.

Oui, la dernière phrase (partage si t'as la ref) n'a rien à voir, quoique si, tout comme lui, je ne partage pas mon vécu pour t'emmerder et nourrir le mien, d'égo, je le partage avec l'espoir que cela t'apportera peut-être quelque chose.

C'est le simple souhait que si jamais, à un moment tu t'es senti•e rabaissé•e ou dans ce réflexe automatique de rejeter la faute sur autrui, même avec raison, si tu as peut-être ressenti ce sentiment malaisant, ce sentiment de douter de ce qu'on fait, tout en ne trouvant pas d'issue, alors c'est peut-être bien ce système qui est à l'œuvre. Ces engrenages à broyer les gens qui se mettent en branle.

La seule chose que je dis ici, au final, c'est que cette machine, on peut la stopper. Oh elle va se remettre en route toute seule, mais à force, on prend l'habitude de l'éteindre, et petit à petit, elle s'enraye, on constate de plus en plus ses défaillances, avec à chaque fois un regard neuf.

C'est ça l'hygiène, c'est comme nettoyer sa maison au fur et à mesure, c'est de plus en plus simple.

Se mettre en confiance, ce n'est pas nourrir son égo, mais c'est connaître ses forces et ses faiblesses et... se foutre la paix dessus.

On fait de l'émulation

J'adore les boîtes qui cultivent le "on gagne ensemble, on perd ensemble" (réellement hein, pas en mode bullshit). C'est pour moi toute la distinction entre compétition et émulation. Une équipe, ce sont des humains, le reste, c'est un choix à assumer.

Ces humains peuvent se battre en mode Battle Royale (toujours pas Fortnite), ou se battre ensemble pour construire une organisation, à elleux de voir, mais après, il faut assumer.

Franchement, même pour les obsédé•es du travail individualiste en mode "self-made, je valorise l'effort blablabla" je trouve que c'est si facile de se laisser manipuler par une machine qui nous dicte nos comportements.

Ça demande justement cet effort d'hygiène, d'investissement et d'écoute active, de patience aussi, que de construire quelque chose à plusieurs, d'avoir un esprit d'équipe et de prendre ses responsabilités hygiéniques, plutôt que, finalement, prendre la voie facile, se hisser seul•e5 en écrasant les autres.

Mais le résultat est sans commune mesure.

Cela. En. Vaut. La. Peine.

Pour moi, ce n'est encore que mon avis, avec ses TONNES de biais, cela me semble tout de même plutôt sain d'ignorer la comparaison et la compétition (que je trouve destructrices) et de favoriser l'émulation, l'entraide et l'esprit d'équipe (valeurs que je trouve constructives).

Pour finir

Donc bon, on peut sûrement trouver des arguments pour la compét, mais c'est surtout son imbrication dans des engrenages systémiques que je remarque dans cet article.

Bref, ne vas pas jouer à colin-maillard sur le bord de l'autoroute.

Et pour enfin finir, voici un extrait d'une leçon que j'ai piquée à Alexandre Astier:

Cela mérite réflexion à mon avis. Ne pas bosser avec des gens avec lesquels je ne voudrais pas déjeuner.

À la prochaine !


  1. Mouvance, émouvance, moteur, émotion, ce n'est pas tellement étonnant que ces termes sont issus de la même racine latine. 

  2. Outre le cargo-cult, j'entends toujours arriver les sous-entendus de gatekeeping en mode « vrai•e dev fait ceci, ou vrai•e dev fait cela ». 

  3. Pour les plus jeunes, je parle du manga, pas de Fortnite, excellent manga 👌 mais un peu gore attention. 

  4. Des réussites aussi d'ailleurs, et c'est super de les reconnaître aussi à leur juste valeur. 

  5. Enfin, ça c'est ce qu'on dit, c'est d'ailleurs tentant de s'en persuader même.