Bon. Puisque je lis un peu de tout et son contraire, je vais essayer de ne pas parler à la place de Popper, mais présenter un peu ce que lui dit, même si, comme je ne suis pas épistémologue ni sociologue, je vous laisse soin d'aller directement lire son œuvre. On va parler un peu de la figure, ce qu'elle a fait, pourquoi elle est connue. Puis on parlera du paradoxe de la tolérance que Popper a succinctement abordé, ce qu'il dit, et ce qu'il ne dit pas.

1. Un peu d'histoire

Popper n'est pas uniquement connu pour son paradoxe de la tolérance. D'ailleurs, ce n'est même pas l'idée la plus marquante dans sa vie. C'est une personne qui a vécu entre 1920 et 1994, et surtout connue en philosophie des sciences pour avoir permis de distinguer clairement les sciences expérimentales des autres connaissances via un critère de démarcation. C'est ainsi qu'il a introduit le principe de réfutabilité. Selon lui d'ailleurs, il soutient une continuité entre sciences dures et sciences sociales et humaines. Sans autant dire qu'il n'y a aucune différence entre les deux il avance cependant une unité de la méthode scientifique car il démontre que ces méthodes sont fondamentalement identiques entre les 2 domaines.

Ça, c'est pour les personnes de la tech qui font une différence de traitement entre les conférences technico-techniques et les conférences sociales. Parce que j'ai dit que je n’allais pas parler à la place de Popper en épistémologie et en sociologie, pas que je n’allais pas donner mon avis sur un des domaines d'expertise que je maîtrise.

Bon, plus sérieusement, dans le cas des sciences sociales, Popper soutient en même temps cette unité des méthodes de toutes les sciences et le principe de rationalité qui fait la spécificité des sciences humaines et sociales. Ces deux principes n'étant pas incompatibles, mais c'est là que je vous laisserai vous informer ou que je laisserai les expert·es du domaine s'exprimer.

Bref, et la politique dans tout ça ?

Justement Popper ne s'est pas limité à l'épistémologie mais il a aussi apporté à la philosophie politique. Mais sans m'y attarder plus, on va justement parler d'un des paradoxes qu'il a soulevés et qui est en fait une toute petite note de bas de page dans son ouvrage La Société ouverte et ses ennemis (plus spécifiquement la 4e note de son chapitre 7) : Le paradoxe de la tolérance.

2. Le paradoxe de la tolérance

Le livre dont est tiré le paradoxe fait référence et s'appuie sur les travaux de Bergson, notamment les concepts de société ouverte et de société fermée, développé dans Les Deux Sources de la morale et de la religion De Bergson. Selon Popper, Platon serait le précurseur des sociétés fermées, et la démocratie athénienne serait une première forme de société ouverte. J'en profite pour rappeler que Popper était socio-libéral, et je précise qu'il s'agit de libéralisme politique, qui n'a rien à voir avec le libéralisme économique auquel on fait référence aujourd'hui (tristement).

C'est justement en faisant les distinctions entre sociétés ouvertes et sociétés fermées que Popper en vient à parler de la tolérance. Et en note de bas de page, il exprime le fameux paradoxe. Ce dernier peut se comprendre ainsi : si une société tolérante veut perdurer dans le temps il y a une chose vis-à-vis de laquelle elle ne peut pas se montrer tolérante, cette chose c'est l'intolérance elle-même au risque de faire disparaître sa tolérance.

Il y a plusieurs choses à dire là-dessus :

  1. Popper dit clairement qu'il ne peut pas s'agir d'un principe absolu, il est pragmatique sur la réalité de ce paradoxe

  2. Le fait que ce principe n'est pas absolu, induit qu'au nom de ce même principe, on doit (sous certaines conditions) enfreindre la règle qui le permet pour le garantir. C'est d'ailleurs exactement la même distinction entre la loi et l'esprit de la loi

  3. La responsabilité revient dès lors à pouvoir identifier clairement ce que l'on met sous la notion d'intolérance

Maintenant mon avis sur la question.

Là réside justement toute la difficulté, qui, si on définit mal ou si on ne définit pas uniformément ce qu'on met sous cette notion, peut justement mettre en péril toute tolérance. Et c'est justement le cœur de notre politique en ce moment, où entre traditionalisme et progressisme il devient impossible de s'entendre sur la même vision de ce qu'est l'intolérance.

Sauf que la pensée n'est pas consubstantielle à la personne, qu'il est extrêmement difficile de prouver une intolérance sans pour autant passer par le procès d'intention (raisonnement fallacieux) et que tolérer n'est pas respecter ni accepter ni soutenir, mais juste supporter l'existence d'autres pensées.

Mais jusqu'à quel point ? Je rappelle qu'aujourd'hui la loi prévoit précisément des limites à l'expression d'opinions qu'elle juge délictueuses, et que les expressions qui entrent dans le cadre de la nuisance à autrui, sont condamnables et condamnées. Il ne s'agit pas de la pensée elle-même mais de l'expression de telles pensées, et ce où que ces expressions aient lieu, dès lors qu'une personne peut en porter le témoignage prouvé.