Introduction

Elles vécurent heureuses est de ces livres qui me parlent et qui me marquent. Le genre de livre qui me fait être parcourue un frisson agréable du début jusqu'à la fin. Ce livre a mis les mots sur un désir profond en moi, qui me tourne autour depuis bien plus longtemps que je ne le pensais. Johanna1 Cincinatis, journaliste et autrice, qui couvre des sujets de société et de féminisme, nous propose ici une tout autre vision des amitiés entre femmes. Elle nous invite à déconstruire les stéréotypes et les clichés qui entourent ces relations, et à les envisager sous un autre angle. À leur donner une place bien plus importante dans nos vies que celle qu'on leur accorde habituellement, perdues dans la pression patriarcale.

Le livre est paru aux éditions Stock | Essai en avril 2024, et compte 190 pages.

Mon avis

Déjà au niveau de l'écriture, ça coule vraiment bien, c'est agréable à lire. Sa pensée se comprend aisément.

Ensuite, j'ai été frappée par la mise en situation directe dès les premières pages. Elle illustre un monde que j'aurais aimé connaître. Ce n'est pas seulement un monde dans lequel les femmes sont libres, mais un monde dans lequel l'amitié est placée même au-dessus du couple.

Imagine un monde dans lequel les femmes ne sont pas en compétition les unes avec les autres, mais où elles se soutiennent, un monde dans lequel par exemple une amitié de longue date est bien prise au sérieux pour un emprunt immobilier, où les projets de vie en amitiés sont vus comme plus solide que les projets de "couple". Je donne un petit aperçu de ce que j'ai ressenti en lisant ce livre, et c'était là un simple exemple, mais il y a bien plus à découvrir. Mais j'étais là à rêver de ce monde, alors que c'est un essai, ce n'est pas un roman de science-fiction, il y a une critique de ce qui nous est présenté comme la seule voie, la seule norme.

Ce livre permet au moins de réfléchir à nos comportements vis-à-vis de nos amitiés.

Dans la suite, elle vient articuler son raisonnement, comment l'amitié entre hommes est décrite par eux, ce qu'elle est, ce qu'elle n'est pas, ce qui pose un problème dans le fait que la littérature masculine passée se pose directement comme universelle, alors que ce sont juste des retours d'expériences individuelles d'hommes. Le fait que quand une femme donne son avis sur son expérience de l'amitié, elle n'a pas accès à l'universel, elle est seulement une femme qui parle de son expérience, et donc elle est forcément partiale, même si les hommes, eux, sont universels.

Puis, pour mon plus grand plaisir, on laisse un peu l'Amitié masculine de côté. On parle de l'Amitié entre femmes, mais perçue par le patriarcat. La fameuse amitié insincère, compétitive, sans avenir ni profondeur, quand elle n'est pas vue comme une relation lesbienne cachée (selon la vision masculine).

On voit l'influence du couple sur ces amitiés, on part de la soupape du couple, pour arriver au couple faible, amitié forte.

Mais heureusement, Johanna Cincinatis ne s'arrête pas là, on parle aussi de l'amitié entre femmes à travers les âges, mais aussi au travers du néolibéralisme, elle montre des moyens pour décapitaliser l'amitié. Et termine sur une note d'ouverture, qui prend même en compte les pensées queer, des systèmes d'entraide, des exemples de communautés qui fonctionnent.

Le tout agrémenté de citations, de références, de sources enrichissantes que j'ai même ajoutées à ma liste de lecture2.

Et là même en écrivant ce résumé, je me rends compte que j'ai encore plein de choses à dire sur ce livre, mais je vais m'arrêter là. Je te laisse le découvrir par toi-même.

Inspirations

Au-delà du plaisir de la lecture, je me suis sentie inspirée par ce livre dans énormément de choses de ma vie.

Par exemple, cela a débloqué mon écriture sur Laetitia et Maeva, notamment le chapitre 3. C'était un peu comme si j'avais eu une autorisation de parler de ces amitiés, de les mettre en avant. J'avais commencé à écrire d'autres fictions en 2022, mais Johanna Cincinatis m'a apporté pile ce que je cherchais et ce dont j'avais besoin pour continuer.

Et dans ma vie relationnelle, ça a eu un impact qui m'a soufflé que j'étais légitime, que je n'étais pas seule à éprouver cette vision, et cela m'a même permis d'ouvrir des discussions avec des amies sur ce sujet, et même poser ce continuum entre mes amitiés et mes relations amoureuses.

Enfin, peu importe le type de mes diverses relations, je peux assumer beaucoup de choses, et je me sens plus forte et plus sereine, j'aimerais que ce livre puisse avoir le même impact sur toi.

J'espère que cet article de découverte aura été intéressant pour toi, prends soin de toi, et si tu fais partie de mon cercle d'amies, sache que je t'aime. 💜


Bonus : Citations

Je n'ai pas arrêté de saouler mes amies à leur envoyer des extraits de ce livre, alors je vais te partager quelques-unes, (les alts reprennent les textes, si besoin) :

la première vague féministe, avec la lutte pour le droit de vote et le droit à l'éducation des femmes.
Petit à petit, les Anglaises reconnaissent le mariage hétérosexuel et la monogamie comme des institutions patriarcales dont il faut se défaire. L'amitié entre femmes bénéficie de cet élan : elle commence à habiter plus encore le quotidien de ces femmes, au sens figuré comme au sens propre, puisque certaines d'entre elles vont jusqu'à vivre ensemble.
Dans son ouvrage, Between Women : Friendship, Desire, and Marriage in Victorian England, Marcus rapporte par exemple l'amitié qui lie l'autrice Frances Power Cobbe à la sculptrice Mary Lloyd.
Dans son autobiographie, la première raconte en 1894 des épisodes de vie partagés où elle mentionne « leurs amis », « leur jardin », « leur belle maison adorée », et leur gestion commune des finances. Ces amitiés occupent le centre de leur vie, à tel point qu'il est tentant d'y voir une relation de couple. Ce qu'on qualifierait aujourd'hui de relation lesbienne n'en était peut-être pas une, ou pas forcément. On ne le saura jamais vraiment, explique Marcus. Cela ne nous importe pas à ce stade. Ce que le texte expose surtout, c'est la place que prenaient ces amitiés féminines dans l'existence de certaines femmes.
Marcus Sharon, Between Women : Friendship, Desire, and Marriage in Victorian England, Princeton University Press, 2009.


J'ai vécu ça enfant, et oui, je survalide. J'ai eu la chance d'avoir été incluse dans des espaces non-mixtes féminins dans mon enfance, et ça m'a beaucoup apporté :

Je repense aux mouvements de jeunesse avec lesquels je partais chaque été en camp scout pendant près d'un mois. Dans la chambre des filles, séparées des garçons, je me sentais en sécurité. Le sentiment me quittait dès lors que je mettais un pied dehors.
Il fallait ensuite affronter la jungle adolescente, plaire aux garçons ou faire profil bas, pour éviter de subir leurs humiliations. Bien sûr, tout n'était pas évident entre femmes, divisées aussi entre dominantes et dominées. Mais cela me semblait beaucoup moins pénible et plus joyeux au fur et à mesure que les années passaient et que le groupe se soudait. A choisir entre les deux, j'opterais encore cent fois pour une vie de béguines.


Sur cela, je peux en dire aussi des choses.

Bien sûr, toutes mes amitiés ne se cristallisent pas toujours autour de cette obsession, mais j'ai en tête plusieurs copines qui ont soudain disparu dès qu'elles trouvaient chaussure à leur pied. Il n'y avait d'un seul coup plus grand-chose à raconter, plus de raison d'appeler. Ce qui en dit long sur le fondement de ces relations et m'amène à me demander si ces dynamiques sont propres aux amitiés féminines.
Se répartir la charge émotionnelle
Si les conversations entre femmes sont l'espace de décompression du couple, qu'en est-il des échanges entre garçons? Les hommes trouvent-ils aussi en leurs pairs un espace d'écoute et de concertation, où ils se posent la question de leur bien-être amoureux ?
Les émotions et la santé relationnelle les concernent tout autant. Mais mon petit doigt me dit que les ruminations romantiques et les thérapies de groupe prennent moins de place au sein des amitiés masculines.


Les hommes ont eu raison de ridiculiser, diaboliser ou dépolitiser l'amitié féminine, car elle constitue une charge politique prête à détonner.
Les représentations ne sont pas le seul obstacle inhibant les amitiés entre femmes. Prendre conscience du pouvoir des amitiés féminines est une chose, leur accorder une juste place en est une autre. À quoi ressemblerait la vie des femmes si l'amitié en devenait le cœur ? Qu'est-ce qui les empêche d'organiser leur existence tout autour ? Pour offrir plus de place à ce lien, il faut en retirer ailleurs. Repenser la hiérarchie entre le couple hétéro et l'amitié m'apparaît comme le prochain grand chantier. Même si cela implique de faire des choix inconfortables, je suis convaincue que les femmes ont à y gagner. Pour elles, l'amitié est une grenade à dégoupiller.


Quand amitié rime avec santé et longévité, c'est beau (ça me fait justement penser à une amie ça tiens).

« On peut commencer à se rendre compte que nos plus grandes, belles, solides, longues histoires d'amour, on est peut-être déjà en train de les vivre, sans prince charmant, mais avec nos amies! »
Ce sentiment se confirme même dans la recherche scientifique. Labrande rappelle que les travaux sur l'amitié féminine ont aussi étudié ses bienfaits sur la santé physique et mentale des femmes :
« De nombreuses recherches ont participé à démontrer que l'amitié pour les femmes a un impact sur leur longévité - au contraire des hommes, dont l'espérance de vie augmente en fonction du statut marital. »
Les femmes n'ont besoin que d'amies pour vivre plus longtemps. Les hommes ont besoin de leur femme pour vivre plus vieux. Même la science abonde dans le sens des amitiés féminines.


Nous ne sommes pas les psychologues de comptoir de ces messieurs. Les amitiés féminines ne sont pas le cabinet de la thérapie masculine. Elles ont tant d'autres choses à faire.

Voilà, j'espère que ces extraits t'auront donné envie de lire ce livre.


  1. J'adore ce prénom, mais c'est complètement hors-sujet. 

  2. Ouais, on va en avoir pour un moment sur les découvertes.