« Les choses prennent toujours le temps qu’elles doivent prendre, on ne peut pas tricher avec. Â»

Ce sont les mots que Maeva a prononcĂ©s Ă  Laetitia, au dĂ©but, elle avait Ă  peine Ă©coutĂ©, puis elle s'Ă©tait braquĂ©e, refusant de les accepter, elle avait fini par mettre son message sous un tapis mental et ne plus y repenser. Mais cela faisait dĂ©sormais des mois qu’elle essayait tant bien que mal de passer Ă  autre chose, sans rĂ©ussite, au point qu’elle a fini par y repenser.

Maeva a toujours Ă©tĂ© experte en Ă©conomie de mots, elle parle peu, mais quand elle s’exprime, elle sait s’y prendre. Laetitia aurait aimĂ© avoir un dixiĂšme de sa capacitĂ© expressive, mais le plus paradoxal, et ce qui lui semblait le plus curieux, c’est que pour autant elle ne s’enfermait pas comme elle. Elle ne parlait pas souvent, et pourtant, elle n’était pas aussi recluse sur elle-mĂȘme, contrairement Ă  elle. Elle trouvait cela Ă  la fois fascinant et, il faut le dire, agaçant.

Ces derniers mois, elle n’avait fait qu'une chose, tenir le fort. Maeva et les autres s’étant trouvĂ©es d’autres Ă©chappatoires pour gĂ©rer Ă  leur maniĂšre, Laetitia Ă©tait restĂ©e Ă  gĂ©rer l’appartement, Ă  s’occuper des choses de la vie courante, Ă  essayer de maintenir un semblant de vie, mais chaque jour s’enfermant un peu plus que la veille.

Elle se sentait nulle et coupable de n’avoir pas su trouver les mots justes, ne pas avoir Ă©tĂ© assez prĂ©sente ou peut-ĂȘtre pas assez Ă©loquente comme Maeva ou mĂȘme Val. Val avait ses moments aussi, mĂȘme si elle donnait moins dans la subtilitĂ©.

Laetitia, elle, avait l’impression d’emmerder son monde quand elle parlait, elle avait toujours eu cette impression au coin de la tĂȘte. « Tu es nulle, arrĂȘte d’essayer de parler, ta gueule » c’est ce qu’elle entendait au fond d’elle, Ă  chaque fois qu’elle ouvrait la bouche.

Et la culpabilité grandissait.

Et plus elle grandissait, moins elle estimait avoir le droit au réconfort.

Encore une erreur.

Décidément, elle ne faisait que des erreurs.

Pourtant, ce n’était pas faute d’avoir reçu des messages tout au long de ces derniers mois, ils n’étaient pas non plus foisonnants, mais ils Ă©taient sincĂšres. Certains de ces mots agrĂ©ables provenaient mĂȘme de personnes qui ne la connaissaient pas tant que ça, hormis sur les rĂ©seaux.

Des messages sincĂšres, mais qui s’adressaient Ă  une personne pĂ©trie de doutes, remplie de culpabilitĂ©s en tous genres, dĂ©vorĂ©e par la peur de mal faire, et paralysĂ©e, donc ils restaient sans rĂ©ponse ou avec une rĂ©ponse Ă©vasive. Cependant, ces attentions l’avaient touchĂ©e, et pas qu’un peu. Probablement avaient-elles jouĂ© un rĂŽle dans sa lente acceptation du dernier message de Maeva.

Puis, Maeva finit par revenir peu Ă  peu, et elle avait pu constater les dĂ©gĂąts. L’appart Ă©tait encore tenu, c’était Laetitia quand mĂȘme. Laetitia, la meuf quand elle va bien, tu peux manger par terre tellement elle entretient sa maison. Aussi fut-elle frappĂ©e de voir de la vaisselle dans l’évier, et une pile de linge en attente d’ĂȘtre pliĂ©e, choses qu'habituellement Laetitia portait en sainte horreur.

Quand on demandait des nouvelles de sa coloc Ă  Maeva, elle rĂ©pondait : « Tu veux savoir comment va Laetitia ? Regarde son Ă©vier. Â»

Et ce fut ainsi que Maeva prit le relais de Laetitia, à s’occuper de l’appartement, en attendant que les autres rentrent au bercail.

Deux Ă  la maison, plus que trois Ă  rentrer.